Quand l’autorité administrative indépendante chargée de veiller à la protection des droits et des libertés remet un avis très critique sur le futur projet de loi Immigration

Auditionnée par les rapporteurs de la commission des lois du Sénat sur « Le projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration », la Defenseure des Droits Mme Claire Hedon, a remis son avis le 23 février dernier sur ledit texte, un avis très critique qui doit interpeller chacune et chacun d’entre nous.

Extraits :

INTRODUCTION

« (…) le projet de loi déposé au Sénat est de nature à porter gravement atteinte à ces droits [droits fondamentaux des étrangers]. (… ) plusieurs dispositions instrumentalisent le droit au séjour en permettant l’adoption de décisions d’octroi, de renouvellement ou de retrait de titres de séjour pour sanctionner les étrangers au détriment de la garantie de leurs droits et libertés (…) » [page 3]

I. Les droits fondamentaux des étrangers menacés par l’instrumentalisation du droit au séjour

1.1. La délivrance de la carte de séjour pluriannuelle conditionnée à une connaissance suffisante de la langue française

L’article 1er du projet de loi prévoit «  de conditionner l’obtention d’une carte pluriannuelle à la justification d’une connaissance de la langue française, et non pas seulement d’une assiduité à la formation. (…) La mesure proposée par le Gouvernement ne prévoit aucune exception liée à l’âge, à l’état de santé, au handicap ou à la particulière vulnérabilité économique qui pourraient pourtant empêcher les étrangers de suivre les formations requises ou d’acquérir un niveau de français suffisant. Les personnes les plus fragiles ne pourraient plus accéder à aucun titre de séjour pérenne (…) » [pages 4 et 5]

1.2. La réduction des protections contre l’éloignement au nom de l’ordre public

« (…) jusqu’à présent, certaines protections contre l’expulsion pouvaient être levées dans le cas où la personne étrangère avait fait l’objet d’une condamnation à une peine d’au moins 5 ans ferme. Or, l’article 9 revient sur cette logique en prévoyant une levée des protections non plus au regard de la peine prononcée mais de la peine encourue.(…) Il s’agit là d’un déplacement du curseur particulièrement inquiétant, non seulement car la référence à la peine encourue plutôt que prononcée va à l’encontre du principe d’individualisation de la peine, mais également car dans les faits, les peines encourues sont très supérieures aux peines prononcées (…) » [page 6]

« (…) L’objectif, légitime, poursuivi par le Gouvernement, d’assurer la meilleure protection de l’ensemble des personnes présentes sur le territoire devrait préférentiellement se faire via la mobilisation des outils pénaux de droit commun, lesquels permettent d’assurer une réponse pénale uniforme quelle que soit la nationalité de la personne concernée (…) » [page 7]

II. Le droit au juge réduit au nom de l’efficacité de l’action de l’État

2.1. La « simplification » du contentieux des étrangers

« (…) Les règles de ce contentieux devenues illisibles, y compris pour les professionnels du droit, ne sont plus en mesure de garantir les principes d’une bonne administration de la justice.(…) les modalités envisagées dans le cadre du projet de loi sont superficielles ou contre-productives et menacent le droit au recours effectif des étrangers (…) » [page 7]

« (…) le projet de loi accentue les restrictions au droit au recours effectif des étrangers alors que ce contentieux repose déjà sur des règles échappant au droit commun (…) » [page 8]

2.2. La généralisation de la délocalisation des audiences en matière de privation de liberté

« (…) Les articles 21 et 24 du projet de loi généralisent le principe de la délocalisation de toutes les audiences pour les étrangers placés au centre de rétention administrative (CRA) ou en zone d’attente, dans des salles aménagées à proximité du lieu de rétention(…) » [page 8]

« (…) très peu de salles sont aujourd’hui spécialement aménagées à proximité des lieux de rétention. Cet état de fait renforce le risque que l’administration systématise le recours aux visio-audiences (…) à partir de salles situées dans les centres de rétention.(…) Or la distinction des lieux de justice et de police est impérative pour démontrer que la salle d’audience relève effectivement du ministère de la Justice et satisfaire à l’exigence ’apparence d’impartialité du procès. À ce sujet, ces dernières années, les visio-audiences se tiennent (…) régulièrement depuis des salles relevant du ministère de l’Intérieur (…) ce qui est contraire aux exigences constitutionnelles, légales, et jurisprudentielles (…) » [page 8]

2.3. La prise d’empreinte sous contrainte

« (…) l’article 11 du projet de loi autorise, après simple information du procureur de la République, le relevé signalétique sous contrainte d’une personne étrangère contrôlée à l’occasion du franchissement d’une frontière extérieure et lors de vérifications (…) » [page 9]

« (…) le recours à un tel procédé, dans le cadre d’une simple vérification d’un droit au séjour, porte une atteinte disproportionnée à la liberté individuelle. Il soumet les étrangers à un régime plus restrictif que des personnes soupçonnées d’avoir commis une infraction. Ces préoccupations sont renforcées par l’absence d’exclusion des mineurs de leur champ d’application et le risque d’atteinte à l’exigence constitutionnelle de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant (…) » [page 9]

III. L’absence de protection des étrangers les plus vulnérable

3.1. La création d’un titre de séjour « métiers en tension »

« (…) à rebours des objectifs de simplification que s’est (…) fixé le Gouvernement, le projet de loi introduit une nouvelle carte de séjour qui s’ajoute au régime existant de l’admission exceptionnelle au séjour. Son caractère expérimental, jusqu’en 2026, risque d’en faire un simple dispositif de correction temporaire de la pénurie de main-d’œuvre dans certains secteurs de l’économie. Dans cette perspective, les droits des étrangers (…) demeureraient précaires et dépendants des fluctuations de l’économie (…) Ce risque est renforcé par la durée de ce titre de séjour – un an – sans que les conditions de renouvellement ne soient clairement précisées. » [pages 10 et 11]

3.2. Le recours au juge unique à la Cour nationale du droit d’asile

« (…) l’un des points les plus inquiétants du projet de loi est l’article 20 qui entend faire du juge unique le principe et non plus l’exception à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) (…) » [page 11]

« (…) Un regard collégial est absolument nécessaire pour apprécier ces situations dans toute leur complexité [parcours de vie du demandeur évoqué durant l’audience avec le demandeur lui-même] Le recours au juge unique vide de sa substance le délibéré qui constitue un gage d’impartialité de la justice. Le principe doit demeurer la collégialité, et le juge unique l’exception. Inverser cette logique est un risque majeur (…) » [page 12]

3.3. La rétention administrative des mineurs

« (…) la rétention n’est interdite que pour les mineurs de moins de 16 ans, tandis qu’elle est autorisée sous certaines conditions pour les mineurs de 16 à 18 ans. Rien ne justifie pourtant cette différence. Ensuite, cet article [article 12] ne prohibe nullement le placement d’un mineur, quel que soit son âge, au sein de locaux de rétention administrative (LRA) ou en zone d’attente (…) »  [page 13]

CONCLUSIONS

« (…) Le projet de loi « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration » fragilise ainsi considérablement les droits et libertés fondamentaux des étrangers. (…) Cette évolution expose alors les étrangers à un pouvoir discrétionnaire croissant de l’administration. En particulier, en raison de la généralisation des exigences liées à l’ordre public lors de la délivrance, du renouvellement ou du retrait d’un titre de séjour, le droit au respect de la vie privée, l’intérêt supérieur de l’enfant ou la prohibition des traitements inhumains ou dégradants sont menacés (…) » [page 13] 

L’avis complet (14 pages)